Depuis plusieurs années, Forrester analyse l’évolution de ce que les anglo-saxons appellent communément «the future of work », un terme souvent incompris qui se résume trop souvent par la destruction d’emplois liée à l’intelligence artificielle. Nous avons même créé une équipe dédiée d’analystes qui coordonnent nos études de manière transverse sur ce thème et sur l’expérience collaborateur. Mon collègue James McQuivey résume très bien dans ce post « The future of work starts now» comment la crise du Covid-19 accélère ce phénomène et notamment les quatre chocs principaux auxquelles les organisations vont devoir faire face pendant la décennie qui débute : 

  1. Le risque systémique. La pandémie actuelle fait partie d’un risque plus large, qui, au-delà de la santé humaine, inclut la menace environnementale, la quête de sens et de valeurs des consommateurs et des employés, ou les fluctuations politiques (Brexit, guerre commerciale sino-américaine). 
  2. La robotisation et l’automatisation. L’IA ne va pas simplement automatiser des tâches manuelles et détruire certains emplois, elle va aussi en créer de nouveaux et surtout transformer près de 80% des emplois. Malgré la redécouverte des métiers de service, l’automatisation des caisses et des entrepôts va s’accélérer. Cela implique une nouvelle division du travail et une nouvelle collaboration entre les hommes et les machines, ainsi qu’une formation sans précédent des employés. 
  3. Le tsunami des données employés. Les marques connaissent l’importance des données consommateurs mais sous-estiment l’importance des données collaborateurs. Elles sont de plus en plus critiques pour attirer, développer et fidéliser les talents dont les entreprises auront besoin demain. Pendant la crise, davantage d’entreprises françaises ont enfin pris le pouls plus régulièrement de la perception de leurs employés pour comprendre leurs attentes vis-à-vis du (télé) travail ou du retour au bureau. Suite au rachat de FeedbackNow, Forrester met d’ailleurs gratuitement à disposition, pendant la crise, un outil pour mesurer en temps réel l’expérience collaborateur au sein d’une même organisation. 
  4. Le pouvoir de l’expérience employé. Après l’expérience client, l’un des enjeux clefs de la décennie à venir est d’enfin mettre en œuvre la fameuse « symétrie des attentions ». Forrester a démontré quantitativement la corrélation entre expérience employé, qualité de l’expérience client, et performance des entreprises, mais peu d’acteurs, notamment en France, ont une démarche avancée dans ce domaine. Comme je l’ai déjà évoqué, cela suppose de s’écarter des modes de management hiérarchique à la française et de davantage faire preuve de bienveillance et de confiance. Redéfinir la marque pour impliquer les collaborateurs et initier une collaboration d’envergure entre DRHdirecteurs marketing et DSI sur ce sujet restent encore un défi à relever pour la plupart des entreprises françaises.  

Un certain nombre d’entre vous avaient d’ailleurs jugé mon précédent post « sortir du confinement pour entrer dans la crise » pessimiste et parfois même trop négatif sur la transformation des entreprises françaises.  

J’en profite donc pour préciser que oui il y a aussi de très belles initiatives en France. Par exemple, sur le sujet de l’expérience employé, il y a des dynamiques intéressantes notamment au sein de groupes aussi divers qu’Adecco, Bouygues Telecom, Capgemini, Danone, Nature & Découvertes ou Orange, mais la transformation en profondeur des entreprises exige du temps et un leadership assumé du PDG au manager de terrain.  

Il semblerait pourtant qu’une partie des français sous-estime la crise économique qui s’installe. Dans un entretien aux Echos, Raymond Soubie le confirme : « Il y a un étrange climat de bulle, avec une forte résilience des Français, mais qui ne durera pas. Les millions de salariés qui sont actuellement dans le dispositif de l’activité partielle, aidé massivement par l’Etat, se vivent comme toujours appartenant à leur entreprise. Ils sont protégés psychologiquement. Le vrai rendez-vous va avoir lieu dans quelques mois (…) la crise de l’emploi va être très forte et le climat social va être très dégradé. » 

C’est la raison pour laquelle nous analysons au fil de l’eau l’évolution de la perception des consommateurs, des dirigeants mais aussi des employés. Forrester vient justement de publier plusieurs analyses basées sur une nouvelle étude menée début mai auprès de plus de 1000 employés sur les principaux pays européens pour mesurer l’évolution de leurs perceptions par rapport à la crise sanitaire et économique. Les résultats sont assez contrastés par pays et pour la France, quelques conclusions se dégagent par rapport à la vague précédente du mois de mars : 

  • L’inquiétude des employés français grandit mais reste bien inférieure à celle des européens. Par rapport à mars, les employés français sont moins défiants vis-à-vis des mesures gouvernementales et, après les allemands, ils sont en fait les plus confiants dans la capacité des institutions à prendre les bonnes mesures. Ils sont les moins inquiets relativement à une future perte d’emploi et à une dégradation du pouvoir d’achat. 26% pensent que leur situation financière leur permettra de tenir face à la crise associée à la pandémie contre 39% pour la moyenne des européens. 29% craignent que leur entreprise ne licencie contre 43% des employés anglais et italiens. Cela s’explique probablement par l’effet de bulle mentionné ci-dessus  au généreux dispositif de chômage partiel dont 12 millions de salariés ont bénéficié. 

 

  • La confiance dans le management baisse et est la plus faible en Europe. En moyenne la baisse est de 10 points avec plus que 46% des employés français qui font confiance au PDG ou top management de leur société pour gérer du mieux possible la crise du coronavirus, contre 56% en mars dernier. Si certains dirigeants comme Stéphane Richard (Orange) ou Sébastien Bazin (Accor) ont pourtant eu une communication exemplaire, la perception d’ensemble baisse et malgré l’amélioration très nette des dispositifs sanitaires, seuls 56% des employés pensent que leur entreprise se préoccupe en premier lieu de leur santé et 55% craignent le retour au travail. Il reste encore beaucoup à faire pour rassurer les salariés, en particulier en région parisienne où les solutions alternatives aux transports en commun sont massivement recherchées. 

 

  • Une majorité se dessine pour généraliser le télétravail dans la durée. Près d’un tiers des actifs ont testé le travail depuis chez eux au cours des deux mois de confinement. Dans notre enquête, une faible majorité (55%) espère pouvoir continuer le télétravail une fois la crise passée. Seule une minorité (moins de 10%) voudrait télétravailler à temps complet. La réalité est qu’une majorité de salariés déclare ne pas pouvoir effectuer leur travail en dehors du bureau. En revanche, la bonne nouvelle est que contrairement à d’autres pays, la productivité perçue par les employés est stable (34% s’estime moins productif qu’au bureau contre 35% en mars dernier) et que les employés français ont nettement améliorer leur capacité à concilier vie familiale et vie professionnelle pendant le confinement. Les implications du télétravail sont massives : maintien du lien et du collectif, productivité, économies sur les m2, impact écologique, égalité homme/femme, cadre/ouvrier, répartition des actifs dans les territoires… Non, la généralisation du télétravail nconcerne pas seulement les Twitter, les Gafam ou autre « remote companies » à la GitLab. La décision de PSA et les discussions accélérées avec les syndicats sont une très bonne nouvelle pour une transformation plus significative des entreprises françaises. 

Les clients Forrester peuvent accéder à l’étude ici.