La crise que nous traversons, comme toute crise, est un moment unique pour prendre du recul et revenir à l’essentiel. Ce grand entretien de Pascal Picq, paléontologue, dans les Echos, est fascinant et remet en perspective la crise du coronavirus dans l’histoire de l’humanité et de son environnement. Cet autre article passionnant sur l’histoire des épidémies montre qu’elles accélèrent le cours de l’histoire à défaut de le changer. En tant qu’analyste, la curiosité intellectuelle m’a donc poussé à chercher l’étymologie du mot crise. La crise est à la fois crisis (du latin médiéval : manifestation violente, brutale d’une maladie) et krisis (du grec jugement, décision) : il ne s’agit pas d’un double sens mais bien de la nécessité de prendre les bonnes décisions aujourd’hui pour survivre à la crise économique, qui s’annonce comme une récession majeure et durable.

Après la mise en place dans l’urgence d’une nouvelle organisation de crise pendant les premières semaines, les dirigeants d’entreprise sont confrontés à une nouvelle difficulté : prendre les bonnes décisions pour anticiper l’après coronavirus. C’est un exercice terriblement délicat car personne aujourd’hui ne peut prévoir précisément les conséquences de la crise sur le changement de comportement et d’attentes des consommateurs et des employés. Ces projections sont d’autant plus délicates qu’il y a de nombreux scénarii d’évolutions politiques et macro-économiques face à l’ampleur de cette crise et à son caractère totalement inédit. Allons-nous vers un modèle à la chinoise, où la technologie et la limitation des libertés publiques permettra l’efficacité comme le craint à juste titre Yuval Noah Harari? Allons-nous au contraire faire vivre les valeurs européennes pour un capitalisme plus social et plus écologique ? Allons-nous céder aux sirènes populaires et nationalistes que la récession va raviver de plus belle ?

Difficile à dire, mais une chose est sûre : la crise va accélérer les tendances préexistantes et mettre en lumière les écarts entre les entreprises qui ont commencé leur métamorphose et les autres, qui sont en retard dans leur transformation digitale. Le réveil sera brutal, des dizaines de millions d’emplois seront supprimés (déjà 10 aux Etats-Unis) et de nombreuses entreprises (pas seulement des start-ups ou des PME) vont disparaître. Il va falloir ajuster l’offre à la baisse significative du pouvoir d’achat et redéfinir les priorités dans un contexte de réduction des coûts. Forrester, en tant que cabinet d’études et de conseil indépendant, pivote sa recherche et ses offres et revoit ses projections pour essayer de répondre autant que faire ce peut à la gestion de crise et surtout à la reprise économique, qui ne sera pas un retour à la normale. C’est pourquoi nous allons analyser dans les semaines qui viennent les changements de comportements et les attentes des consommateurs, comme des employés. Une grande partie de nos études est mise à disposition gratuitement sur ce site.

Vers une évolution profonde non seulement des comportements mais surtout des attentes et des valeurs des consommateurs.

Ceux d’entre nous qui sont confinés, qui peuvent vivre des moments privilégiés avec leurs proches, et qui n’ont pas un travail essentiel (professionnels de santé, agents publics, acteurs de la chaîne alimentaire,…) prennent conscience de la fragilité de notre confort et des excès de la société de consommation. Sous la contrainte, nous sommes forcés de changer nos habitudes. Bien plus que de nouveaux modes d’achat et de consommation (e-commerce, drive, paiements sans contacts, e-learning, streaming vidéo…) dont certains seront pérennes, l’un des enjeux clefs de cette crise est de comprendre comment nos perceptions et nos attentes évolueront. Il est fort probable que les valeurs liées à la proximité, à la frugalité, à la solidarité, à la préservation de l’environnement vont devenir de plus en plus importantes dans les choix des consommateurs. Comme l’expliquait l’entrepreneur américain Mark Cuban, la manière dont les entreprises traitent leurs salariés en ces temps de crise, va aussi durablement affecter leurs marques. C’est pourquoi les démarches sociétales d’entreprises comme Décathlon ou la MAIF sont non seulement exemplaires, mais montre la voie de l’engagement sociétal.

De nouveaux modes de travail et une quête de sens grandissante pour les employés.

Les consommateurs ne sont pas les seuls à rechercher du sens. Les employés aussi. Nous venons justement de publier les résultats d’une enquête (menée du 25 au 27 mars auprès de 1032 employés sur les cinq principaux pays européens) sur la perception de la crise par les employés.

Les principaux enseignements pour la France sont les suivants :

  • La crainte de la propagation du coronavirus et de son impact économique sur les entreprises est importante, mais pas encore autant qu’en Espagne ou en Italie.
  • Près d’un quart des salariés interrogés ont peur que leur entreprise ne survive pas aux difficultés financières engendrées par la crise.
  • Une courte majorité de salariés français font confiance à leurs chefs d’entreprise pour faire face à la pandémie. La France est cependant le pays où les mesures d’hygiène au travail (masques, gel hydroalcoolique,…) sont perçues comme les plus insuffisantes.
  • Plus de 50% des salariés français préfèrent travailler à domicile pendant la crise du Coronavirus, mais un pourcentage équivalent de salariés est impatient de retourner au travail une fois que tout sera terminé.
  • Les salariés français s’adaptent rapidement à une culture de travail à domicile imposée, et préfèrent la flexibilité qu’elle apporte. Seuls un tiers se plaint d’être moins productif qu’au bureau et 31% disent avoir du mal à gérer en même temps leur vie professionnelle et familiale.
  • Skype reste l’outil de collaboration de prédilection, mais la popularité de Microsoft Teams et de Zoom (malgré une polémique légitime sur la sécurité et la vie privée) ne cesse de croître.

Parmi ces nouveaux comportements, de nombreux seront pérennes. Pourtant, au-delà du télétravail, c’est l’ensemble des processus et de l’organisation qu’il va falloir repenser. La nécessité de motiver les employés, de créer de nouveaux rituels, et surtout de faire évoluer la culture d’entreprise pour la rendre plus agile deviennent essentiels pour l’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs qui se dessinent aujourd’hui. Cela passera aussi par un travail de refondation de nombreuses marques.

Cette première étude sera suivie d’autres analyses plus détaillées pour observer l’évolution des comportements et des attentes des consommateurs et des employés.

Vous pouvez retrouver l’étude détaillé ici.

Merci à Pierre Reboul de me permettre de la présenter et d’échanger avec lui dans le YouTube Live de l’EBG ce vendredi 10 avril à 11h.